Témoignage de Liban

Liban est un jeune Djiboutien de 33 ans arrivé en Belgique il y a quelques années, il est blogueur. Sa passion : écrire des articles, partager ses idées, débattre afin de trouver des consensus. Cependant, tout le monde n’a pas toujours été d’accord avec ses opinions et, en novembre 2016, Liban est agressé dans les rues de Bruxelles et perd la vue.
Il y a encore peu de temps, Liban était un citoyen ordinaire, vivant en république de Djibouti. Il était secouriste-sapeur-pompier et plus particulièrement conducteur ambulancier.
« Du jour au lendemain, j’ai été déçu de mon travail. Lors d’une manifestation, j’ai été amené à secourir des individus, et j’ai été choqué par ce que j’ai vu. Je me suis alors exprimé publiquement et j’ai pointé mon gouvernement du doigt. C’est ce qui m’a amené à faire le parcours de l’exil. C’est une aventure dans laquelle personne ne s’imagine se lancer un jour. On est amené à quitter sa famille, son foyer, tout ce qu’on possède. »
Liban a eu la chance de pouvoir prendre l’avion. En 6h30, montre en main, il était en Europe. Conscient que d’autres n’ont pas cette opportunité, et que pour eux le voyage peut durer jusqu’à 8 mois, il décide de les aider, à sa façon.
« J’ai été traducteur bénévole pour la Croix-Rouge. Je voulais aider les personnes qui viennent ici, en Belgique, qui ont eu le même parcours que moi, ou un parcours plus difficile, et qui ne connaissent pas le français. Je connais plusieurs langues : l’anglais, l’arabe, la langue somalienne - qui est ma langue maternelle - et encore d’autres dialectes du continent africain. J’ai utilisé cet atout afin d’aider les immigrés à s’intégrer dans la société belge. »
Lorsque Liban s’est rendu compte qu’il ne verrait sans doute plus jamais, son moral s’est peu à peu dégradé. Toujours dépendant de quelqu’un, c’est toute son autonomie qu’il avait perdue. Un ami de la communauté djiboutienne lui a alors parlé de la Fondation I See et l’a encouragé à rencontrer Frédéric Storme, président et fondateur.
« Frédéric m’a impressionné dès le départ. Je pensais qu’il était voyant, mais très vite il m’a dit "Rassurez-vous, Liban, je suis comme vous". Et là, je me suis dit que je n’étais pas seul, qu’il y a d’autres personnes qui ont perdu la vue et qui vivent leur quotidien d’une manière très correcte et normale, comme avant. Ça m’a aidé, et ça m’a rassuré aussi. Je rencontrais enfin quelqu’un à qui je pouvais me confier et qui comprenait mon ressenti, qui comprenait mes besoins. En plus, j’ai constaté que Frédéric travaille, il a un bureau, un ordinateur. Il tape sur son iPhone et reçoit des appels téléphoniques. À partir de ce moment-là, je me suis dit "Oui, je peux y arriver comme lui, je peux être comme Frédéric Storme". »
Pendant 3 mois, Liban a suivi une formation individuelle aux nouvelles technologies avec Vincent Leone, formateur de la Fondation I See, lui-même déficient visuel.
« Avant, la technologie, je la voyais comme un loisir. Aujourd’hui, j’en ai vu les bienfaits. Au-delà du loisir, la technologie permet de maintenir en vie. Il y a plein d’applications qui nous aident, nous mal-voyants et non-voyants, à reprendre le cours de notre vie. Chaque fois que j’ai un cours avec Vincent, je repars chez moi avec un lot de nouvelles connaissances, de nouveaux outils, de nouvelles applications. Après avoir connu I See, je peux dire qu’il n’y a rien qui me manque. Je dois encore apprendre à me déplacer à la canne, mais niveau technologique, il ne me manque rien du tout. Absolument rien. Je peux reconnaître de l’argent, identifier ce qui est devant moi, reconnaître si c’est de l’eau ou du Coca, identifier la couleur de la chemise que je porte, lire un courrier, payer mes factures, écouter la radio, la télévision, écrire un message, lire un email que j’ai reçu, utiliser Facebook, WhatsApp, Viber, etc. C’est le grand retour de Liban. »
Liban a aussi suivi des cours de psychomotricité avec Thierry Jacquet, coach mental et physique, consultant de la Fondation I See.
« Thierry m’a appris à me repérer dans un espace inconnu. Je ne vois pas, mais il faut que je dessine ce qu’il y a devant moi, il faut que je schématise l’environnement dans ma tête. Il m’a aussi appris à retrouver l’équilibre. J’ai dû faire des exercices avec un tapis très étroit, il y avait juste la place pour mes deux pieds. J’ai aussi fait des exercices de sonorisation. Je claquais des doigts et je devais savoir quand je m’approchais d’une porte ou pas. Quand je me déplaçais, je me cognais souvent. Thierry m’a dit "Le son change, même quand on parle, et si on s’approche d’une porte ou d’un mur, le son va changer". Aujourd’hui, je suis arrivé à un stade où, dès la première tentative, je peux trouver la porte. Parfois, Thierry se cachait dans la pièce, il parlait une fois et je pouvais le retrouver. C’est quand même fantastique. La motricité, ça permet de se maintenir en équilibre, de marcher, de ne pas perdre son équilibre face à un obstacle, ne pas paniquer et toujours savoir se relever. »
Et pour le futur ? Liban a un objectif principal : aider les personnes, qui comme lui, ont perdu la vue.
« Je veux aider les aveugles qui viennent d’Afrique, mais aussi ceux qui vivent en Afrique. Je ferai tout, je donnerai mon temps et mes ressources financières pour les aider. Moi j’ai eu la chance de perdre la vue en Europe, là où il y a I See ; Vincent est là, Frédéric est là, Thierry est là, Sophie est là, tout le monde est très accueillant. Mais je pense nuit et jour à ceux qui n’ont pas la chance d’être formés aux nouvelles technologies et à la motricité. J’ai envie de venir au secours des déficients visuels en Afrique, afin d’améliorer leur quotidien, et leur dire "Je suis comme vous", comme Frédéric me l’a dit, "Je suis comme vous, je ressens les mêmes besoins mais je peux vous apporter quelque chose de bien". C’est mon rêve. Quand j’ai perdu la vue, j’ai cru ne plus être utile, mais aujourd’hui, grâce à I See, je crois que je peux toujours être utile à la société, et beaucoup plus utile encore. »